L'Hermitage
à Pontoise
Pissarro-1867
"L Hermitage à Pontoise" -  Pissarro, 1867 - Solomon R. Guggenheim Museum, Thannhauser Collection

A Pontoise, Pissarro initia Cézanne à l'impressionnisme, et fut influencé en retour par sa rigueur de construction

   
DEBUSSY - Ballade (1891)
 
 
     
C l i q u e z  sur  les  i m a g e s
 
 
"La nature
pour
maître"

CEZANNE et PISSARRO

1865 - 1885

La période de deux ans, d'avril 1872 à Mai 1874, où Cézanne vint peindre chez Pissarro à Pontoise fut particulièrement féconde pour les deux peintres, d'abord pour "l'élève" Cézanne qui s'initia à la peinture impressionniste de paysage sur le motif, mais aussi pour Pissaro "le maître" qui avait très tôt reconnu en Cézanne un autre maître de la peinture, particulièrement préoccupé par la recherche des éléments constructifs du tableau.

Cette exposition créée par Le Musée d'Art Moderne de New-York et son conservateur Joachim Pissarro est actuellement proposée à Paris par le Musée d'Orsay dans le cadre de l'année Cézanne - 2006 célébrant le centenaire de la mort de Paul cézanne.

Camille Pissarro, le doyen et créateur avec Monet de l'impressionnisme, priait en 1872 son ami Paul Cézanne, deux ans avant la 1ère exposition impressionniste de 1874, de le rejoindre à Pontoise pour travailler.

Deux années d'intense promixité où les deux peintres, qui s'admiraient mutuellement, allaiert peindre les mêmes motifs, s'inspirer l'un l'autre, jusqu'à parfois, mais jamais totalement, peindre à la façon de l'autre, chacun gardant "sa sensation" .

 



La maison du docteur Gachet
à Auvers-sur-Oise
Paul CEZANNE, 1872-74

Yale University Art Gallery



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Etape déterminante pour les deux artistes, qui apprendront l'un de l'autre tout en gardant leur identité propre, Cézanne s'inspirant de la palette et de la touche impressionniste de Pissarro, quand Pissarro s'imprégnait de la rigueur de construction de Cézanne.

Une relation plus espacée dans le temps et l'espace s'en suivra alors que Cézanne résidera plus souvent à Aix où, malgré ses invitations répétées à le rejoindre, Pissaro ne se rendra jamais.

Les deux peintres avaient en commun le même désir de parvenir à une "exacte représentation de la nature", ce qui les mènera à s'attaquer à de nombreuses problématiques comme le rapport entre les espaces echelonnés en profondeur et les premiers plans, l'opposition entre une route qui tourne et la surface plane de la toile peinte...

Au-delà des influences réciproques des deux peintres et de l'évolution ultérieure de leur peinture, cette exposition montre avant tout leur grande communion dans un désir de mieux peindre la nature.

 

LES ORIGINES

Pissarro et Cézanne avaient beaucoup de points en commun : une origine bourgeoise, une rébellion contre l'autorité paternelle pour obtenir l'autorisation de réaliser leur vocation de peintre, soutenus en cela par leurs mères toutes deux d'origine créole, le sentiment d'être des étrangers à Paris, l'un de nationalité danoise venu des Antilles danoises, l'autre français d'Aix-en-Provence au très fort accent méridional...

Autant de choses qui inévitablement les rapprochent lorsqu'ils se rencontrent à l'Académie Suisse en 1861, mais qui seraient restées sans suite sans une profonde admiration réciproque partagée dès l'origine.

Dans la décennie 1860-70, Camille Pissarro peignant dans le droit fil de Camille Corot dont il fit la connaissance dès 1855, devient un peintre paysagiste reconnu, en particulier au Salon, et l'un des tout premiers peintres "impressionnistes".

Historiquement, Camille Pissarro fut le doyen des impressionnistes et le plus influent après Monet. De 10 ans plus âgé que Cézanne, il fut un des créateurs de l'impressionnisme.

A ses débuts, dans les années 1860-70, Cézanne, largement autodidacte puisqu'il ne fut pas admis aux Beaux-Arts, peint des oeuvres d'essence romantique et réaliste inspirées par Eugène Delacroix et Gustave Courbet, bien loin des oeuvres aux touches légères des peintres impressionnistes de ces années-là, où s'expriment des sentiments violents traduisant une nature tourmentée.

 

CEZANNE chez PISSARRO à PONTOISE

Cézanne se cache à l'Estaque pendant la guerre de 1870, dans une maison de vacances louée par sa mère, avec sa compagne Hortense Fiquet, un modèle qui lui donne un fils, Paul né en 1872, longtemps caché au père de Cézanne, et qui en 1886 deviendra légalement sa femme.


Pommes châtaigniers
et faïence sur une table
Camille PISSARRO, 1872
Metropolitan Museum of Art, NY

 

Pendant la guerre, Pissarro, lui, a rejoint Monet à Londres, abandonnant sa maison de Louveciennes bientôt réquisitionnée par les Allemands, où tous ses tableaux ainsi que ceux que Monet lui avait laissés en dépôt seront détruits.

Après la guerre, Pissarro, entré en ménage en 1859 avec Julie Vellay, la fille d'un viticulteur bourguignon dont il aura huit enfants, s' installe à Pontoise.

C'est là que Cézanne vient au printemps 1872, avec sa nouvelle famille, le rejoindre pour une collaboration qui durera deux ans, résidant d'abord à Pontoise puis dans la localité voisine d'Auvers-sur-Oise dans un logement fourni par le Docteur Gachet

 

LA LECON DE NATURE

 

Deux années entières passées ensemble à battre la campagne des environs pour peindre sur le motif, où l'on peut juger le chemin parcouru par Cézanne qui délaisse les thèmes romantiques et mythologiques de ses débuts pour adopter la vision naturaliste des impressionnistes, l'observation directe de la nature, ici une simple maison avec un arbre en premier plan et des collines de champs au fond.

Dans les pas de Pissarro, Cézanne éclaircit sa palette, cherchant à rester fidèle à la lumière et à l'atmosphère du monde extérieur.

Cézanne, lui, va influencer Pissarro par son souci d'ordre géométrique devenu partie intégrante de sa réflexion artistique, qui lui fera dire plus tard à Maurice Denis "Moi aussi, je ne le cache pas, j'ai été impressionniste. Mais j'ai voulu faire de l'impressionnisme quelque chose de solide et de durable comme l'art des musées".

Car, à Pontoise la peinture de Cézanne prend bien un virage impressionniste, mais un impressionnisme bien personnel, puisqu'il refuse l'absence de construction, la primauté de la seule vision, chères aux impressionnistes. C'est cet aspect de Cézanne qui intéresse Pissarro puis, ultérieurement, d'autres peintres impressionnistes, particulièrement Degas et Renoir.

 

Maison et arbre,
quartier de l'Hermitage
Paul CEZANNE, 1874
Collection Particulière, Californie

L'exposition présente plusieurs "paires de tableaux ", deux représentations du même paysage par Cézanne et Pissarro, où l'on peut voir la ressemblance saisissante du motif, alors même que l'exécution de la peinture est radicalement différente : Pissaro s'attache aux détails cherchant des gradations subtiles quand Cézanne procède au contraire par simplification et accentuation des contrastes, utilisant des couleurs plus vives et des coups de pinceau plus hardis et plus longs.

Ceci vaut aussi pour la 1ère partie de l'exposition consacrée aux natures mortes, genre alors considéré comme mineur par les officiels, mais que Pissarro et Cézanne explorèrent également particulièrement, y voyant la possibilité d'étudier les éléments formels de la peinture sans souci d'un quelconque sens du contenu.

 

INSPIRATION MUTUELLE


Le petit pont, Pontoise
Camille PISSARRO, 1875
Städtische Kunsthalle, Mannheim

 

La vocation de peintre paysagiste de Pissarro remonte à sa rencontre avec Corot en 1855.

Nombre de ses tableaux évoque la manière de Corot, comme ici le "Petit pont, Pontoise" de 1875, où pourtant Pissarro innove en utilisant des couleurs rehaussées et détachées.

Preuve de l'intensité des échanges entre les deux artistes, le "Pont de Maincy, près de Melun" de 1881 de Cézanne (cf. biographie de Cézanne), doit beaucoup au "Petit pont" de Pissarro et peut être lu comme un hommage rendu à Pissarro par Cézanne six années plus tard.

On peut considérer que, même éloignés, les deux artistes se sont longtemps et mutuellement influencé en correspondant d'abord, et lors de multiples visites de Cézanne chez Pissarro.

 


LE STYLE DE CEZANNE

Cézanne à ses débuts ne peignait pas comme les impressionnistes, et finalement sera bien le moins impressionniste des peintres impressionnistes.

Mais il ne pouvait échapper à l'influence de ce nouveau courant, et c'est Pissaro qui aura eu le mérite de le lui faire découvrir, séduit à son tour par l'approche résolument différente, et annonciatrice de la peinture moderne du XXième siècle, de Cézanne

 

Au fil de toutes ces années d'une longue et intermittente relation, où chacun des deux artistes se tournait vers l'autre pour enrichir son style pictural, Cézanne a progressivement acquis son style personnel.

On peut en voir un exemple avec ce tableau "La Côte des Boeufs, Pontoise" de 1877, où il traite le même thème que Pissarro ("La Côte des Boeufs, Pontoise" de 1877), mais d'une manière totalement différente qui préfigure déjà les paysages provençaux du "Parc du Château Noir" (vers 1900).

 

 

 


La Côte des Boeufs, Pontoise
Paul CEZANNE, 1877
Museum of Fine Arts
St-Petersbourg, Florida

 

L'INFLUENCE DE CEZANNE SUR PISSARRO

De 10 ans l'aîné de Cézanne, et un artiste déjà très accompli, Pissarro avait moins à apprendre de Cézanne, que Cézanne de Pissarro.

Mary Cassatt, l'élève américaine de Degas dira de Pissarro : "Il est si bon professeur, qu'il pourrait apprendre à dessiner aux pierres". Pivot du groupe impressionniste, d'une solidité et d'une franchise sans bornes, loyal envers ses amis et ouvert aux jeunes artistes, Pissarro rencontrera également en 1874 le peintre amateur Paul Gauguin qu'il initiera au paysage impressionniste.


La rue de l'Hermitage, Pontoise
Camille PISSARRO, 1874
Succession du docteur Rau

 

Ainsi fut Pissarro, contestataire et anarchiste, qui aimait organiser, enseigner, discuter et travailler avec d'autres peintres.

Quand tous, la critique unanime, puis son ami d'enfance Zola et de nombreux peintres dénigrèrent Cézanne, seul Pissarro ne douta pas un instant de son talent.

On peut voir dans ce tableau de Pissarro "La rue de l'Hermitage, Pontoise" de 1874 , comment Pissarro, influencé par Cézanne, peint un peu comme lui en accentuant la structure du motif - assez banal en soi - au moyen de lignes plus marquées et d'un contraste plus net des couleurs.

A noter également que les paysages de Pissarro, contrairement à ceux de Cézanne qui ne s'intéresse qu'à transcrire un ordre géométrique de la nature, incluent presque toujours des personnages ou scènes de la vie paysanne.

 

Voilà une exposition à ne rater sous aucun prétexte si l'on aime le paysage. Quand Monet et Sisley peignaient davantage l'eau, Pissarro et Cézanne ont peint la terre et les décors champêtres. Ils cherchaient certes à rendre l'atmosphère et les couleurs mais aussi l'ordonnancement des différents plans.

Cézanne se donnait comme premier maître la nature : “On n'est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature; mais on est plus ou moins maître de son modèle, et surtout de ses moyens d'expression, écrivait-il en 1904. Avec Pissarro, il a placé très haut les fins de l'art, cherchant à faire de chaque tableau un véritable enseignement, ... une leçon de nature.